La classe new-yorkaise : préliminaires

By  | 25 août 2014 | Filed under: Regards

« There are three kinds of lies: lies, damned lies, and statistics. »

Attribuée à Benjamin Disraeli

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Les yeux d’une délicieuse brune de ma connaissance se posent sur le journal que je tiens en main.

 « Tiens, c’est le début de l’US Open? Toi qui t’y connais, à ton avis, qui va gagner? Nadal? »

(Ha! Nadal. Forcément!)

Bon, ne paniquons pas. C’est le moment de faire une bonne impression. Qui sait, si je m’y prends bien, c’est peut-être à la future mère de mes enfants que je m’adresse.

(Nadal! Elles disent toutes la même chose, ces filles du sud.)

Je ne veux pas me mettre la pression, mais cette femme, à peu de choses près, c’est Marie Curie dans le corps de Claudia Cardinale.

(Nadal, ha! Lui qui n’a jamais été ne serait-ce qu’en finale du tournoi!)

Je m’éclaircis la gorge, le temps d’ordonner ma pensée et de prendre le ton docte de celui qui sait.

Empathique:

« Nadal, ma chère? Je crains que non, hélas. »

Technico-tactique:

« Premièrement, vois-tu, il est connu pour ne pas aimer les conditions de jeu du stade de Fleuchinn’gue Médose » (Mon accent l’impressionne, c’est dans la poche). « Selon certains, il s’agirait de la surface la plus rapide de tous les Grand Chelem, plus rapide même que Wimbledon. »

Historique:

« Et puis, tu sais, il y a eu deux tournois de préparation très importants: Toronto et Cincinnati, remportés par Murray et Federer. »

Conclusif:

« Pour moi, ce sont eux les deux favoris. »

J’oubliais un détail: nous sommes en août 2010.

Vous connaissez la suite. Ou plutôt, non. Mon interlocutrice a eu le bon goût d’oublier cette discussion sitôt finie. Elle n’a jamais profité des résultats postérieurs pour me chambrer. Moi, le ridicule de ce souvenir me rongeait. Dans certaines situations, aucun doute, le silence est d’or.

Ronald Martinez - Getty Images

Ronald Martinez – Getty Images

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Débriefons. L’idée principale, sur laquelle se fondait cette mienne réponse, lamentable a posteriori, était la suivante: les résultats du mois d’août font sens à l’heure de désigner les favoris de l’US Open. C’est intuitif. N’est-ce pas un préjugé? Apparemment, si. Ou alors, je n’ai tout simplement pas eu de chance. Afin d’en avoir le cœur net, interrogeons le passé: est-ce habituel qu’il y ait pendant l’été des signes avant-coureurs d’un triomphe new-yorkais?

L’US Open partage avec son cousin français la particularité d’être précédé d’une mini-saison de préparation, offrant aux candidats au titre un échauffement grandeur nature. Ils s’aguerrissent aux spécificités de la surface, étalent leurs ambitions, prennent éventuellement la température de leurs rivaux directs. En théorie, au sortir de ces quelques tournois – surtout les Masters 1000 – tandis que tous les joueurs se donnent rendez-vous pour l’échéance majeure, quelques-uns ont déjà pris de l’avance, d’autres du retard.

Le Chelem australien et Wimbledon, on le sait, se déroulent dans un contexte bien différent, après seulement deux semaines de tournois secondaires, ce qui rend les forces en présence plus difficiles à jauger. Souvent, le futur vainqueur de ces tournois n’a pris part à aucune compétition ATP préalable. Djokovic est coutumier du fait, par exemple.

Pour Roland Garros, le caractère prédictif des tournois de préparation ne fait guère de doute. Depuis l’an 2000, seuls Gaudio et Costa n’avaient gagné aucun équivalent Master 1000 avant leur titre parisien. Il est vrai que la régularité de Nadal au printemps tord un peu les chiffres; le cas s’est présenté plus souvent dans les années 90.

À l’US Open, l’importance des tous derniers résultats est très relative.

Nous avons regardé les performances des rois de Flushing Meadows de 1990 à 2013 dans les tournois de préparation – l’année choisie pour démarrer l’étude étant la première saison ATP structurée par les tournois Super 9, futurs Masters 1000. En 24 ans, douze noms différents ont été gravés sur la coupe argentée.

USOpen

On s’aperçoit que, si 10 futurs vainqueurs avaient remporté au moins un Master quelques semaines avant, 4 s’étaient contentés d’un tournoi mineur, et 10 enfin n’avaient strictement rien gagné. La balance est équilibrée, et le titre en Master 1000 aucunement prédictif des résultats à venir. Que Tsonga et Federer se le tiennent pour dit, mais aussi John Isner, Milos Raonic, ou Lukas Rosol.

Plus fort, encore, à quatre reprises, le futur vainqueur s’avère incapable d’atteindre les quarts dans aucun des deux gros tournois préparatoires, en participant pourtant aux deux! C’est d’ailleurs la situation du favori des bookmakers cette année, Djokovic. Sampras fit de même en 2002 – comme Papa Roger actuellement, cela faisait alors 6 ans qu’il n’avait pas remporté l’US Open, et 2 ans qu’il n’avait pas remporté de Grand Chelem.

A l’inverse, on en a parlé l’an dernier – et pour cause! – trois joueurs ont réalisé ce qu’on pourrait appeler le « Chelem Nord-Américain », Canada-Cincinnati-US Open. Mais attention, le doublé Canada-Cincy ne garantit rien pour la suite; c’est la douloureuse leçon que reçut Agassi en 1995.

Fait amusant, les deux dernières années ont proposé les deux situations extrêmes: un Murray vainqueur en 2012 après une préparation fantomatique, et un Nadal qui joua cartes sur tables en 2013 en ne faisant aucun mystère de son niveau de jeu. Un seul et même joueur fit aussi les deux expériences contraires d’une année sur l’autre. Pat Rafter ne mettait pas un pied devant l’autre en août 1997? Il renversait tout sur son passage un an plus tard? Dans les deux cas, le patron en septembre, ce fut lui.

Une dernière statistique à prendre en compte: 6 vainqueurs étaient absents d’un des deux gros tournois. Ce fut le cas, on s’en souvient, d’un Juan Martin del Potro qui venait d’enchaîner une victoire à Washington et une finale à Montréal, et préféra se préserver la semaine suivante, avant de créer la surprise que l’on sait.

Coups de bluff? Confiance fluctuante des favoris? Densité de la concurrence interdisant d’enchaîner les titres sur cette surface et à cette période de l’année? Bien des explications à ces préparations « bâclées » peuvent être avancées. Il n’en reste pas moins que, comme souvent en tennis, comme souvent en sport, l’enseignement qu’apporte le coup d’œil jeté au passé est le scepticisme. L’histoire n’aide pas à prévoir l’avenir, ou si peu. Les pronostics, y compris ceux des experts, ne sont que jeu de hasard léger et plaisant. On ne sait qu’une chose – merci Socrate – c’est qu’on ne sait rien.

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