Wimbledon 2014 : Novak Djokovic (TS1) or Roger Federer (TS4) ?

Depuis la dernière finale de l’US Open, Novak Djokovic a gagné presque tous les tournois auxquels il a participé et serait numéro un mondial s’il n’avait pas perdu dans l’un des deux derniers Grands chelems disputés, alors qu’il a perdu en ces deux dernières occasions, battu par Wawrinka en quarts à Melbourne et en finale à Roland-Garros il y a un mois, par le Terreminotaure qui a triomphé pour la 9e fois en 10 participations à Paris.

Le Terreminotaure en question (TS2), de moins en moins herbivore, a été écarté du titre à Wimbledon par Nick Kyrgios, wild-card ; le tenant du titre, Andy Murray (TS3), a suivi le même chemin en quarts. Quant à celui qui aurait été TS3 si la désignation reproduisait le classement ATP, Stanislas Wawrinka (TS5), il a été battu en quarts par Roger en quatre sets. C’est donc lui le dernier adversaire que Djokovic rencontre cette après-midi. Une victoire lui octroierait, outre le titre, son deuxième à Wimbledon, le rang de numéro un mondial que Nadal lui a pris lors du dernier US Open.

Novak Djokovic a la faveur des pronostics. La moyenne des cotes des sites de paris (1,5 pour lui, 2,21 pour Roger) lui accorde une probabilité de victoire de 58,7% faisant de lui un léger favori comme le montre ce comparateur de cotes.

Je dois vous avouer que lisant ces cotes postées par l’une d’entre vous sur le fil, je n’y ai pas cru et ai voulu vérifier. Mais c’est bien le cas. Je pensais qu’après les demi-finales, Roger deviendrait le favori mais non. Je pense qu’il s’agit d’une erreur des coteurs qui vont probablement prendre un bouillon.

J’ai lu les posts de Jérôme dont le partage les arguments même si je serais un peu plus prudent que lui quand au déroulement du match. Mais, comme lui, j’ai pensé à la finale de 1999 entre Pete et Agassi, bien plus qu’à celle de 2000, la dernière de Pete. Le meilleur serveur contre le meilleur relanceur, voilà comment était présentée la finale de 99. On sait ce qu’il en est advenu : le meilleur serveur a gagné et à même sèchement battu Agassi en trois sets dans ce qui est peut être son meilleur match à Wimbledon. André dira après que Pete marchait sur l’eau. Mais même si Pete n’avait pas marché sur l’eau, il aurait gagné.

Il y a une raison à cela : à Wimbledon, si le serveur et le relanceur sont au même niveau par rapport à leur niveau maximal respectif, le meilleur serveur va, le plus souvent, battre le meilleur relanceur. Le meilleur attaquant va, le plus souvent, battre le meilleur défenseur. Le ralentissement de l’herbe depuis 2002 n’a que peu modifié la donne, encore moins cette année ou les conditions de jeu ont été les plus rapides, au moins depuis 2009, première date ou j’ai commencé à regarder les stats.

Si les stats montrent bien que Roger est le meilleur serveur et attaquant du tournoi, le deuxième problème qui se pose à Djokovic est de savoir s’il est bien le meilleur relanceur… et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas évident. Lorsque l’on regarde les stats, on voit que Roger est soit supérieur à Djoko, soit égal à ce dernier, et ce dans tous les compartiments du jeu. Voici ses stats :

http://www.atpworldtour.com/News/Tennis/2014/06/27/Wimbledon-Saturday-Final-Preview-Federer-Djokovic.aspx

Impressionnant : même au retour, Roger a fait aussi bien sinon mieux que le Djoker. Et au service, il n’y a pas photo. Avec 83% de points marqués sur sa première balle, Roger est premier du tournoi, devant Raonic, il est également premier sur seconde balle  avec 68% des points gagnés. Djokovic n’est pas dans le top 20 sur ces deux critères (je n’ai pas fait les calculs, mais le dernier du top 200 est à 80% sur premières balles et à 59% sur seconde balle, Djoko est donc en-dessous).

Les deux principales améliorations dans le jeu de Roger (qui progresse donc..) sont d’abord sa seconde balle, devenue une deuxième-première samprassienne avec 10 à 15 points de plus marqués dessus que jusqu’ici à Wimbledon. Le résultat, c’est que Roger n’a été breaké qu’une fois au cours du tournoi, sauvant 12 balles de break sur 13, le joueur en obtenant le plus étant son adversaire du premier tour, Lorenzi (5), suivi par Stan (4), Giraldo (2), Robredo et Raonic (1) tandis que Muller n’en a eu aucune. Et comme le dirait M. de la Palice, le meilleur moyen de ne pas être breaké est encore de ne pas avoir de balles de break à défendre. Roger est plus dominant au service qu’il ne l’a probablement jamais été lors de ses précédents tournois.

A titre de comparaisons, Djoko a du faire face à 29 balles de break et a été breaké 8 fois, dont 3 fois par Dimitrov et Simon et 2 fois par Cilic. Ni Stépanek, ni Golubev, ni Jo n’ont obtenu une seule balle de break. De ce fait, il a perdu 4 sets, contre 1 seul à Roger. Il a du passer un peu plus de 15h sur le court contre à peine 10 pour Roger. Pourtant il sert très bien, en première balle tout au moins.

Il n’ay pas de doute que la nouvelle raquette de Roger apporte un plus à ce dernier au service, ce qui était l’un de ses objectifs. Elle lui apporte également plus de contrôle, en demi-volée ou à la volée, de même qu’au retour puisque la zone de frappe utile a augmenté d’un quart. Roger remet en jeu davantage de services et commet moins de fautes de centrage que ces dernières années, d’où ses stats en retour qui le placent au même rang au moins que le Djoker.

La limite de ce qui précède est qu’ils n’ont pas rencontré les mêmes adversaires mais la comparaison est sans ambiguïté : Roger a bien mieux joué que Novak. Il a clairement dominé le tournoi. Par rapport à il y a deux ans, il est meilleur et n’a pas mal au dos tandis que le Djoker était alors en pleine confiance après sa saison 2011 et était numéro un mondial, place que lui avait pris Roger en le battant en demies, puis en remportant le titre.

La logique voudrait que Roger gagne plus facilement qu’en 2012. Il l’avait alors emporté 6-3 3-6 6-4 6-3.

Novak Djokovic était favori dans une proportion de deux chances sur trois pour lui, une sur trois pour Roger… un peu plus qu’aujourd’hui..

La logique ne s’impose pas toujours, en particulier en raison de considérations psychologiques qui peuvent avoir un impact déterminant : idées parasites négatives, pression plus forte sur l’un ou sur l’autre. La pression est toujours plus forte pour celui qui a le plus à perdre.

Qu’est-ce que Novak a à perdre ? S’il perd, ce sera sa 6e défaite en finale de Grand chelem sur les 7 dernières auxquelles il a participé, ainsi que sa 4e de suite. Il tombera à 6 finales remportées, toutes à Melbourne sauf deux, pour 14 finales. Il serait bien parti pour devenir le successeur d’Ivan Lendl dans ce registre. Après sa saison 2011, il ne s’y attendait pas et nous non plus. Il dit aujourd’hui ouvertement qu’il a un problème de ce côté-là, alors qu’il domine le circuit par ailleurs. Est-ce le bon moment pour le régler, un mois après une nouvelle défaite crève cœur à Roland-Garros ? A Wimbledon, il a été deux fois en finale, gagnant en 2011 contre Nadal qui produisit ce jour-là sa plus mauvaise finale en Majeur. Autrement dit, Novak a contribué lui-même à se soumettre à une très forte pression. Son interview avant la finale ne respire pas précisément la confiance et les questions des journalistes sont incisives et appuient là ou cela fait mal. On y lit un portrait peut-être le plus élogieux de Roger qu’il ait jamais prononcé et en substance une explication à sa future défaite.

http://www.wimbledon.com/en_GB/news/interviews/2014-07-04/201407041404496628105.html

Il espère être en mesure de faire en sorte que Roger ne puisse évoluer à son top. On l’a déjà senti plus confiant…

Un parfait contraste avec celle de Roger :

http://www.wimbledon.com/en_GB/news/interviews/2014-07-04/201407041404500340019.html

Et curieusement dans ces interviews, personne ne parle de la question de savoir qui est favori. Dans « L’Equipe », on n’en parle pas non plus bien que lorsqu’on lit les articles, on comprend bien qu’ils se retiennent de dire qu’ils pensent très fort à un 18e titre de Roger.

Roger s’est bien gardé d’aborder le sujet et fait comme si il n’avait plus de pression. Il a dit qu’il n’avait plus rien à prouver depuis quelques années et qu’il espérait même prendre du plaisir, expression à laquelle il ne m’avait pas habitué avant une finale.

C’est sa 25e finale. Il en a remporté 17. Seuls Nadal et del Potro ont réussi à le battre en finale de Grand chelem. A Wimbledon il en a rapporté 6 sur 7 et celle qu’il a perdu passe pour le meilleur match des années 2000.

Becker a donné une interview fort pertinente pour rectifier les choses et dire que « niveau pression, c’est du 50-50 » et il en a donné l’un des deux raisons. Roger va avoir également beaucoup de pression car il a aussi beaucoup à perdre. La première chose est un titre du Grand chelem qui lui permettrait de remettre Nadal à 4 longueurs, la deuxième est que s’il ne gagne pas maintenant à près de 33 ans et alors que la jeune garde arrive, on peut s’interroger et conclure que sa dernière chance sérieuse s’est envolée. Il n’en a pas gagné un depuis deux ans, il n’a plus 36 cartouches à griller. Roger arrivera sans doute encore en finale de Grand chelem mais il y a un monde entre arriver en finale et gagner…

La deuxième source de pression dont on a peu parlé est que s’il perd, Roger aura laissé passer l’occasion d’accomplir un exploit de portée historique, pour la troisième et sans doute dernière fois. La première fois était en 2008 quand il aurait pu gagner Wimbledon pour la 6e fois consécutive, ce que personne n’a fait. La deuxième était en 2009 quand il aurait pu remporter l’US Open pour la sixième fois consécutive. La troisième fois est aujourd’hui :

Roger peut devenir l’unique joueur de tennis à avoir remporté 8 fois Wimbledon ce que personne depuis 1877 n’a réalisé. Il est à égalité avec Renshaw et Pete. Qui pourrait alors contester qu’il est le plus grand joueur de tennis jamais vu ?

La balance est donc bien en réalité également sur les deux joueurs sur le plan de la pression.

Pronostic : Roger will make History ! Et les 15-lovers seront en bande au Coolin, dans le 6e arrondissement, pour y assister.

About Antoine

Né l'année ou Rod Laver réalise son premier grand chelem, suit le circuit depuis 1974, abuse parfois de statistiques, affiche rarement ses préférences personnelles, aime les fossiles et a parfois la dent un peu dure...