« La relève se fait attendre » : une illusion d’optique

By  | 22 février 2018 | Filed under: Actualité

 

Federer père et fils

Faudra-t-il attendre cette relève… ?

 

 

 

Les gens qui suivent le tennis d’un peu loin, les médias plus ou moins spécialisés, mais aussi les personnes les mieux informées – j’ai nommé la communauté des 15lovers – reprennent à l’envi une antienne qui semble indiscutable : « La relève se fait attendre », laquelle se décline en couplets du type « Le Big Four truste tout : que font les jeunes ? », « Est-il normal que Federer soit numéro un à 36 ans : que font les jeunes ? », « Le public va finir par se lasser de voir toujours les mêmes : que font les jeunes ? »

A priori, le constat est difficilement réfutable, qui se trouve reprendre un des leitmotivs les plus partagés par tous les peuples du monde et depuis la nuit des temps : « Y a plus de jeunesse », « Ils sont plus bons à rien », « De notre temps, nous zôt, on aurait tout bouffé sur notre passage »… Sauf qu’à mon avis ce n’est pas si simple que cela.

Ma thèse est que la relève a déjà eu lieu, trois fois, et que deux joueurs d’exception empêchent juste la quatrième relève… et créent cette illusion que les jeunes ne foutent rien.

Les faits :  Federer est l’actuel numéro un à 36 ans. Le numéro 2 est Nadal, qui va sur ses 32… Ensuite, on a qui ? Cilic, 29, Dimitrov, 26, Zverev, 20, Thiem, 23 puis Goffin, Sock.

 

Federer a dominé le tennis jusqu’en 2008 (en gros de 23 à 26 ans), Nadal a pris la relève comme numéro un en 2008 vers 22-23 ans (un numéro 1 assez précoce, mais il avait été un vainqueur de Grand Chelem précoce en regard des canons actuels). Après quelques passages de témoin avec Fed en 2009 et 2010, c’est Djokovic qui reprend le flambeau en 2011 : il a 24 ans et est un peu plus jeune que Nadal, d’un an. Sa domination dure jusqu’en 2015, avec un intermède Nadal en 2013, puis où il cède devant quelqu’un de sa génération, Murray, du même âge, en toute fin d’année. Les deux entrent alors dans la trentaine et… dans un cycle de blessures typique des conséquences des efforts du haut niveau.

Et donc je pense que la relève de Federer a eu lieu, pour un plus jeune Nadal, qui l’a cédé à Djokovic et Murray, un an de moins… qui auraient pu/dû céder la place à Cilic (un an de moins que les deux précédents), Dimitrov (3 ans de moins que le précédent), puis Zverev et Thiem (6 ans et 3 ans de moins).

La logique voudrait que la suite de l’histoire s’écrive ainsi :

« Les deux joueurs dominants, trentenaires, cèdent donc la place à un leader plus jeune, Marin Cilic, qui a déjà remporté un tournoi majeur, l’USOpen, et qui vient de remporter Wimbledon 2017. Roland Garros n’a pas échappé à Wawrinka, déjà vainqueur de deux tournois du GC. Un leader sans doute éphémère, le Croate, car talonné par de plus jeunes qui sont en train de confirmer au plus haut niveau, le Bulgare Dimitrov, le Belge Goffin, la génération des 26 ans qui est train logiquement d’arriver au pouvoir avec un tennis complet.

Derrière, les jeunes pousses sont déjà là, qui pointent : Zverev, en chef de file, qui n’a que 20 ans, rappelons-le et un très gros potentiel. A confirmer mais il a le temps, deux ou trois ans avant d’être à l’âge auquel Federer a pris le pouvoir, c’est dire. A moins qu’il ne soit doublé sur le fil dans quelques années par de plus jeunes encore qui semblent ne douter de rien et taper dans tous les coins, Shapovalov, de Minaur à leur tête. »

Mais ça, c’est du tennis-fiction… On aurait eu, avec ce récit, une relève finalement assez régulière au plus haut niveau agrémentée de quelques passages de témoins entre les 4 poursuivants si…

… s’il n’existait pas en fait deux joueurs totalement hors norme, qui défient les statistiques et qui le font par des qualités ici maintes fois décrites : la talent naturel et la palette totale du Suisse, l’ultra-domination sur terre de l’espagnol alliée à un physique et une volonté hors norme. Qualités qui en font des joueurs au-dessus du commun, même du commun des numéros 1 mondiaux, et les a replacés aux avant-postes qu’ils avaient quittés depuis… plus de quatre ans (2013 pour Nadal).

Enlevez Federer et Nadal et vous avez des leaders ATP de 29, 26, 20 et 23 ans, suivis de Goffin et Sock. Bref, une relève régulière… Les jeunes ne sont ni plus mauvais, ni plus résignés que les générations précédentes : c’est juste que deux joueurs hors norme continuent à écraser le classement alors qu’ils auraient, « logiquement », dû disparaître progressivement des premiers rangs, une fois évincés de la première place, comme l’avaient fait bien gentiment leurs prédécesseurs nommés Hewitt, Safin, Roddick…

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Classé 15/4, je joue au tennis depuis 40 ans... Appris à jouer avec une prise marteau, des années à m'en débarrasser.

643 Responses to « La relève se fait attendre » : une illusion d’optique

  1. Renaud 19 mars 2018 at 07:27

    J’ai pris le match (au passage merci pour le bon stream) à la toute fin du 2ème set, 3ème set que domine effectivement FED pour finir par déjouer sur le jeu de service qu’il ne fallait pas rater et à partir de ce moment là et en cela rien de surprenant Del Potro ne rate rien et Fed fait les mauvais choix.
    Rare de sa part mais cela lui arrive parfois.

    A sa décharge et cela avait été signalé concernant Cilic en Australie ce début d’année, Fed a couru après le score toute la partie et l’intensité du 2ème set qu’il semblerait avoir arraché au nez et à la barbe de Del Potro lui a certainement coûté beaucoup d’influx et d’énergie.

    Il a mal géré 1 jeu de service et plus particulièrement 2 BDM, encore une fois il y a pas de quoi paniquer et la maison Suisse n’est pas en feu.
    Il a la place de N°1, peut la conserver encore quelques semaines, mois s’il ne fait pas n’importe quoi à Miami ….

    Une défaite à oublier et cela lui enlève au moins cette pression inutile de X match sans perdre depuis début 2018 !!!

    • Paulo 19 mars 2018 at 10:40

      Je ne pense pas que ce soit le fait d’avoir arraché le 2ème set en sauvant une balle de match qui lui a coûté influx et énergie. La preuve, il a dominé le 3ème set* – jusqu’au moment où il obtient lui-même 2 balles de match.

      Je crois juste qu’il n’a pas digéré de se faire débreaker au moment où la victoire lui tendait les bras, et ça l’a frustré au point d’en perdre son tennis dans le tie break.

      * Roger avait marqué 39 points avant le tie break et Juan Martin 37 points (2 pts de plus pour le Suisse)

  2. Homais 19 mars 2018 at 08:33

    Non, y a pas le feu… On est toujours insatiables avec lui.
    Le truc à retenir c’est qu’un Fed moyen arrive à avoir trois balles de match (et à se les foirer tout seul) contre un Del Potro au sommet, ne ratant quasiment rien.
    J’avoue que voir le match lui échapper ainsi est râlant, incroyable sur le scenario de toute fin de match, mais le voir renverser une tendance où il est dominé, arriver à défendre, à se mettre dans le match en sortant le bleu de chauffe, breaker sur une jeu magnifique montre toutes les ressources qu’il a (encore) !
    Quelques mauvais (très mauvais) choix et une panne de première là où il termine d’habitude par un ace lui coûtent la victoire mais n’importe qui aurait pris une tôle contre ce Del Po là. Pas lui.

    • Elmar 19 mars 2018 at 09:00

      Entièrement d’accord. C’est juste que c’est frustrant de le voir déployer tant d’effort pour échouer au moment où il doit conclure. Une défaite en deux sets aurait été moins amère!
      Si on oublie les balles de match qu’il négocie mal, la différence sur l’ensemble du match se fait sur les fautes directes. Il a arrosé deux fois plus que l’Argentin, parfois sur des coups faciles. Contrairement à l’impression visuelle, c’est aussi lui qui fait plus de winners.
      Ces stats ne comprennent pas non plus les nombreux mauvais choix effectués.

      Côté Del Po que je n’avais pas encore vu jouer en 2018, j’ai été agréablement surpris pour lui de constater qu’il tapait ses revers et n’a quasi jamais slicé alors qu’il a passé son année 2017 à le faire. Un gros titre dans sa besace. Amplement mérité.

  3. Renaud 19 mars 2018 at 10:20

    J’espère que tout le monde sera d’accord avec ce que vous dites qui rejoins ce que je pense.

    Sur Del Potro il ne fait aucun doute que sans les blessures il aurait été le vrai membre du big 4 et qu’il aurait posé bien bien bien plus de problème au trio de tête que Murray.

    Ce gars là est froid comme un Iceberg dans les moments chauds et je n’oublierai jamais le fameux 4ème set de l’USO ou il est dos au mur en fin de set et ne tremble pas une seconde contre un FED qui valait bien celui d’hier si ce n’est mieux vu qu’il venait d’enquiller RG+WIMB et le record de Sampras !!!
    Excusez du peu.

    Certains vont me dire que les blessures ne sont pas des excuses…je rétorquerai qu’un Del Potro est à minima victime de l’époque actuelle qui privilégie le « bourrinage » et le « parpinage » et qu’à n’importe quelle autre époque il aurait tout emporté sur son passage.
    Au vu de sa taille et de son physique il aurait peut-être mieux fallu pour lui se renforcer 1 ou 2 année de plus avant d’arriver au somment en 2009….mais bon c’est ainsi.

    Pour FED a lui de positiver après la légitime déconvenue en sa disant qu’il était proche alors qu’il n’était pas au sommet, de se souvenir de comment il a arraché le 2ème set et de faire à minima demi à Miami ce qui est dans ses cordes…attendons le tableau mais vu le nouveau classement de Del Potro je ne pense pas qu’il pourrait le rencontrer avant les demis justement…wait and see

    • Paulo 19 mars 2018 at 10:43

      En théorie ils peuvent se rencontrer en quart, puisque Nadal absent et les autres top players présents, Del Po sera TS 5… (il est 6ème à l’ATP ce matin)

    • Achtungbaby 19 mars 2018 at 11:34

      Exercice toujours délicat et de toute façon un peu vain.

      Quand il est arrivé sur le circuit je n’aimais pas du tout Del Po. L’archétype du bourrin pour moi. Le gars joue clairement debout sur la table et arrose à tout va. Par contre ce que j’avais prédit tout de suite quand certains lui voyait remporter 15 GC grâce à une telle force de frappe, c’est que le garçon serait fragile. Et il l’a été.

      C’est bien beau d’être puissant, mais il faut que le corps encaisse. Les joueurs surdimensionnés comme lui ont souvent du mal à faire une carrière sans grosse blessure.

      Bref, dans la mesure où l’arme principale de Del Po porte en elle sa principale faiblesse, refaire le monde sur ce qui se serait passé sans blessure est vraiment hasardeux. Car c’est sans doute se demander combien il aurait de GC sans son coup droit massue.

  4. Paulo 19 mars 2018 at 10:49

    On dit : Roger aurait dû gagner, etc. mais les stats ne disent pas ça : Del Po a gagné 14 points de plus que Roger sur cette finale, 122 contre 108.

    Au 1er set : 32 Del Po vs 23 Roger soit +9
    Au 2ème set : 46 Del Po vs 44 Roger soit +2
    Au 3ème set : 44 Del Po vs 41 Roger soit +3

    Del Po a globalement dominé les 3 sets ! C’est si Roger avait gagné que ça aurait été un hold-up…
    D’ailleurs, Roger a bien dit en conf de presse (ou lors du discours de remise de la coupe) qu’il aurait dû gagner le 3ème set, mais que Del Po aurait dû gagner le 2ème…

    • Elmar 19 mars 2018 at 11:23

      Bon ça c’est sûr. En même temps, si Roger marque sa première balle de match, dans le 3ème set, ça fait Del Po 27 et Roger 33 (soit 105 – 100 sur l’ensemble du match).

      • Paulo 19 mars 2018 at 13:58

        105 – 100 ça reste un hold-up de Fed ;-)

        (et le « si » ne s’est pas réalisé…)

    • Achtungbaby 19 mars 2018 at 11:26

      on a souvent l’impression que les victoires de Fed contre Del Po sont un peu des hold up. Et c’était particulièrement vrai hier soir.

      Espérons que cette défaite fasse redescendre un peu Fed. Hier il a été assez désagréable pendant une bonne partie du match. Il a parfois des comportements de diva qui personnellement me tapent sur les nerfs.

      Et cette façon de gérer ses BdM (je sentais la grosse blague, il l’a faite !) avec ces amorties…

      Vraiment pas envie de le plaindre pour ce match perdu.

      • Elmar 19 mars 2018 at 11:58

        Je trouve pas que c’était un comportement de diva. Juste d’un gars énervé, comme ça nous arrive à tous quand on ne joue pas comme on le voudrait. Y avait beaucoup de tension pendant le match, mais ça a aussi ajouté à la dramaturgie de l’ensemble.
        A titre personnel, je préfère nettement voir Roger dans cet état quand il est malmené que de le voir passif comme ça lui arrive parfois, sans signe de révolte.

        • Achtungbaby 19 mars 2018 at 12:46

          Pas faux, il m’a souvent énervé pour ça aussi : un certain manque de révolte.

          Hier il y avait la révolte, mais aussi ce je ne sais quoi de mépris/hautain qui me titille aussi parfois chez lui.

          Sa façon de jouer ses BdM m’a achevé de ce point de vue.

        • Paulo 19 mars 2018 at 13:52

          Je l’ai dit hier, je n’ai pas aimé quand il a tapé le sol avec sa raquette, à 20 cm de la ligne du carré de service, pour signifier sans ménagement à Murphy que le service de Del Po était out.
          Alors que le hawk-eye a montré qu’il était pleine ligne…
          Il était bcp trop énervé dès le départ, pas besoin de sentir que Del Po le menaçait pour ça.
          Après sur le challenge tardif de Del Po, on n’a pas eu toutes les images, mais j’ai l’impression que Del Po hésite une demi-seconde avant de demander le challenge, et vu cette hésitation et le bruit infernal, Murphy n’a compris la demande de Del Po que 3 ou 4 secondes après, alors que Roger venait de s’asseoir. Ça arrive…

          Je n’aurais pas aimé être à la place de l’Argentin hier soir, avec un Roger qui met la pression de cette façon sur l’arbitre, et le public qui en rajoute… d’ailleurs l’énervement de Del Po est liée, je pense, au fait que Murphy n’arrivait pas à contenir le public (qui criait entre deux services notamment).

          Pour être tout à fait honnête, j’étais pour Del Po hier. Non que je n’aime pas Roger (au contraire), mais parce que trop de victoires conduit à une forme de monotonie et tue le suspense pour la première place. Et aussi parce que j’aime bien Del Po aussi, un gars sympa, un coup droit phénoménal, un calme olympien… et vu ses blessures, et son niveau de jeu intrinsèque, il méritait de gagner au moins un Masters 1000.

          Cela dit, je pense quand même que Fed n’a pas été comme il aurait dû être hier. Il m’a fait penser à Murray par moments, qui peste sans arrêt, l’air de dire qu’il doit gagner, que l’autre n’a aucun mérite même quand il sort des coups monstrueux ; bref peu respectueux de l’adversaire, finalement.

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