Mémoires de club acte II : On part en stage de tennis !

By  | 13 décembre 2009 | Filed under: Bord de court

Mémoires de club acte 2 (photo DR)

Deuxième épisode de la trilogie relatant ma truculente adolescence de tennisman passionné par un sport qui me le rend mal. Aujourd’hui chers amis, on part en stage dans les Alpes, chez Georges Deniau à Flaine plus précisément. Moins de dépaysement pour vous, mais totale rupture tennistique pour moi qui pars pourtant à la recherche du Graal et de la Toison d’or en même temps.

Nous sommes en 1988 et j’ai 15 piges. Je joue au tennis comme un forcené, avec un style de forçat d’ailleurs. Un vrai beau poète de la raquette, je déclame mes sonnets comme une petite brute à la technique sommaire que je suis. A l’époque les quelques figures de proue du club ont toutes un point commun, celui d’être parties en stage pendant les vacances précédentes. Stage ; ce mot sonne comme une quête fabuleuse, un voyage fantastique dans la Terre du Milieu du tennis où Tolkien est remplacé par Hagelauer, Deniau, voire même Bolletieri pour les plus nantis. Nous croyons tous à cette légende urbaine qui veut qu’en stage, le plomb se transforme en or et que ces noms de magiciens précités soient ceux d’alchimistes du tennis qui, dans leurs labos, transforment les Tarango en Sampras.

L’ennui c’est que ça coûtait la peau du cul, rectum inclus. Après une année scolaire de pourparlers et des négociations « potsdamiennes », mes parents acceptent de se saigner aux quatre veines et d’envoyer leur progéniture (mon aîné de deux ans me servant de chaperon) chez Deniau à Flaine. Pourquoi Deniau ? Un petit Blanc de ma classe avec qui je joue au tennis régulièrement y est allé y’a dix plombes et en parle encore avec des trémolos dans la voix. Les réservations sont faites, la carte d’état-major dépliée sur la table, et mes rêves de grandeur tennistique sont au zénith : putain je vais déchirer grave à mon retour c’est certain.

L’aura de futur stagiaire dont je bénéficie au club avant même mon départ me plonge dans une espèce d’euphorie tennistique et je crois que pendant les deux semaines qui le précèdent, je joue le meilleur tennis de ma vie jusque-là. J’ignore encore que j’aurais pu faire faire l’économie de ce stage à mes parents. Bref, je fais feu de tout bois, frappe plus fort que jamais et sans tuer les oiseaux s’il vous plait. Je m’envole pour les Alpes avec un moral en acier, un tennis en géo-béton et un appétit de loup qui sort du Ramadan. Ah ça va chier !

Je vous fais grâce du voyage en lui-même mais sachez seulement que ce séjour ne commence pas sous les meilleurs auspices. La faute au Fitness, un chocolat de Nestlé fourré aux raisins secs et aux céréales. Mon père s’en ramenait un petit stock à chaque fois qu’il voyageait vers l’Europe et devant mon appétit gargantuesque pour la chose, ne m’en donnait qu’à doses homéopathiques en bon gestionnaire d’une denrée trop rare. Mais là, cet aéroport de Genève prend des allures de pays de Cocagne et mon premier investissement à la descente de l’avion est hautement chocolaté : une demi-douzaine de barres de Fitness. Investissement presqu’intégralement amorti avant même l’arrivée à la station de Flaine. Les ennuis gastriques qui en découleront entacheront mes premières performances sportives le lendemain.

L’hébergement est excellent et l’ambiance sympa. Des petits groupes se forment spontanément et évidemment mon frangin et moi sommes un peu les curiosités colorées de l’endroit. Il faut répondre aux questions qui deviendront rituelles stage après stage quelle que soit la discipline : oui en Afrique on joue au tennis, oui je suis venu en avion, oui je connais déjà la France, non la Côte d’Ivoire n’est pas une île, non je ne connais pas Youssouf Fofana personnellement. Je piaffe d’impatience, je veux jouer au tennis (entre deux séances de Fitness aux gogues).

Ça y est, le stage officiel commence. Ma première impression en pénétrant sur le court est étrange. La surface est caoutchouteuse, et avec ce panorama alpin à perte de vue, tous mes repères visuels sont faussés. J’ai l’impression de me noyer. Je n’ai pas le temps de remonter à la surface qu’un clinic est organisé afin de jauger de notre niveau : à la queue-leu-leu nous passons frapper quelques balles envoyées par un coach qui se fait en une minute une idée d’un tennis qu’on a mis des années à bâtir. Ça craint comme principe. J’ai toujours eu un démarrage de diesel et le temps de chauffage de mes longs segments avoisine le quart d’heure. Dans ces conditions de froid inusitées, je crains le pire quand mon tour arrive. Je ne suis pas déçu. Le temps de frapper quatre ou cinq balles et de faire filet / filet / cosmos / filet / cosmos je me retrouve affecté au niveau deux (sur cinq). Ben merde alors, y’a erreur M’sieur l’agent sioupléééé!

J’intègre donc le premier niveau au-dessus des débutants. Honte, infamie, ignominie, je loue le seigneur que ça se passe à plus de 6000km de mon club. Entre papys et minots, je ne suis pas du tout à ma place dans ce groupe. Notre prof d’ailleurs n’a rien d’un éleveur de champions. Avec le recul je lui trouve une folle ressemblance avec Georges Wolinski (que je ne connais pas à l’époque) et je lui donne au bas mot 70 ans (faut me comprendre, je suis vexé). Il explique beaucoup, parle lentement, est très pédagogue et théoricien. Bref on ne joue pas assez à mon goût. Et quand ça joue c’est la grande dépression, on se succède en file indienne pour frapper quatre balles et on retourne faire la queue pour cinq minutes. C’est ça le stage ? Remboursez !!!

Les deux ou trois premiers jours sont réellement frustrants. Je vois sur les autres courts des gars qui s’éclatent en jouant à mon niveau « normal », mon niveau d’Abidjan ! C’est avec eux que je devrais être morbleu. Quel puissant sortilège me frappe donc pour que mon tennis d’habitude si flamboyant soit mué en pousse-balle de la pire espèce ? Les balles justement ne me conviennent pas du tout, elles sont lourdes au possible et je regrette amèrement mes Tretorn dures et râpées qui filent comme des balles de squash. Et ce froid, ce vent… Je suis simplement en train d’apprendre à la dure ce que signifient les conditions de jeu et leur importance, et que le darwinisme fait son œuvre imperceptiblement. Je m’adapte à cet environnement hostile et au fur et à mesure de cette première semaine de stage, mon jeu se met en place. Le fait de devoir assurer au maximum pour garder la balle dans le court m’a tout simplement permis de travailler à nouveau sur mes fondamentaux, sans même le réaliser. A la fin du premier exercice hebdomadaire je suis admis dans le groupe supérieur qui correspond nettement mieux à mes aspirations.

Dans ce groupe j’ai l’impression de passer du public au privé, adieu classes bondées. On est en nombre juste suffisant pour jouer en permanence, sus aux Mohicans, Sioux et autres Apaches, pas de file indienne qui vaille ici. J’apprends enfin des choses nouvelles et mon arsenal s’enrichit de coups qui vont assurément me permettre de faire rendre gorge à tous les ramasseurs du club. Au service notamment j’apprends à varier les effets entre le slice, le kick ou le lift. Tout y passe et avec bonheur. Pour l’instant. De retour de stage je vais m’emmêler les pinceaux entre les effets et les prises de raquette et souffrir ad vitam aeternam d’un service en mode binaire – ace ou double faute – avec un net penchant pour la seconde option.

Ce stage est également l’occasion pour moi de découvrir le tennis au niveau professionnel. Deux joueurs coachés par Deniau ont planté leur bivouac à Flaine et s’entraînent sur des courts mitoyens. Je joue à dix mètres de Jakob Hlasek et Eduardo Masso ; le premier notamment qui revient de blessure (fracture suite à un accident de voiture) va exploser l’année suivante et jouer le Masters, rien de moins. La vitesse de balle, la facilité de leur tennis sont prodigieux. Il va m’en falloir des stages pour arriver à ce niveau. Que je me concentre déjà sur celui-là de stage qui touche à sa fin.

Quelques joueurs me sont restés en mémoire, bien que tout cela remonte à 20 ans déjà (oh putain…) :

  • Claudio, un petit Italien de mon âge avec qui j’allais faire des sets après les entraînements. Il venait d’Aoste avec son papa qui ne parlait pas un mot de français et le suivait partout. J’ai gardé beaucoup d’affection pour lui parce que c’est je crois le seul joueur non médiocre que j’aurai battu régulièrement de toute ma carrière tennistique. Merci Claudio d’avoir été là pour moi.
  • Marie, une mignonne blondinette frisée qui jouait… avec les garçons ! J’avais la hantise qu’on me l’adjuge comme adversaire lors des sets qu’on disputait les après-midis. De tout le stage je ne me rappelle pas l’avoir vu faire une faute directe. Et elle frappait fort et juste. J’ai échappé à la sanction et n’ai jamais tiré son numéro, contrairement à un des instructeurs qui l’a fait mais hors-antenne. Le bellâtre – Olivier de son prénom et classé zéro je m’en souviens – aura d’ailleurs fait quelques ravages dans les rangs des joueuses en herbe.
  • Calimero enfin, un minot dont je n’ai jamais su le prénom. Tout le monde l’appelait Calimero. Il était haut comme une baguette de pain et à le voir de loin avec sa housse sur le dos on ne savait pas trop s’il s’agissait d’un tennisman ou d’un contrebassiste. C’était manifestement un surdoué et il jouait avec le groupe des joueurs classés, nettement plus âgés que lui. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi petit jouer aussi bien.

J’ai le sentiment d’avoir nettement progressé et j’ai hâte d’aller mettre tout ça en pratique dans des conditions décentes, c’est-à-dire par 30°C sur des courts en ciment et contre des ramasseurs. Les dix jours qui suivent le stage sont comme une condamnation à perpétuité. Je me morfonds à Paris en attendant de rentrer sur Abidjan, le temps que la famille soit réunie. J’en profite pour faire l’acquisition d’un instrument de mort. C’est la mode des profilées, ces raquettes à bord très large sans lesquelles la vie n’a plus de sens. La mienne sera une Major Bullit, superbe engin épais comme un annuaire téléphonique. Avec le recul les couleurs noires, violettes et bleues me semblent moins heureuses comme assortiment. A l’époque en tout cas elle est superbe et participe à mon anxiété de rentrer. Mon tennis s’évapore et la rémanence des effets du stage risque de se dissiper. Je fouette l’air de gestes rageurs mimés dans le vide avec mon Excalibur ; pas question de faire du mur, je la veux absolument neuve quand je ferai mon entrée au Sporting Club.

A mon retour le miracle n’aura lieu que quelques jours, l’effet kiss cool faisant long feu : le temps de raconter mes exploits tennistiques dans le détail en éludant volontairement le chapitre du groupe des débutants, de montrer à tous ce qu’est la différence entre un service slicé et un service lifté, de faire admirer ma nouvelle Bullit et son cadre décidément épais. Las ; je retombe dans mes travers avec un tennis erratique qui fait de moi le champion du monde des entraînements sans enjeux, et un serial loser qui perd ses moyens dès qu’il entend le couperet du « on fait un match ? » tomber sur le billot. Et cette raquette tellement épaisse… elle est trop belle et unique pour que je puisse admettre n’arriver à rien tirer de l’instrument. En plus je rentre de stage, c’est pas possible tout de même ! Le coup de grâce me sera donné par le seul ramasseur du club à ne pas être au courant que j’ai été en stage – il devait être bien planqué celui-là – et qui me clouera d’un « mais tu n’as pas trop perdu pendant tes vacances, ton jeu ça va encore hein ! »… Arghhhhhhhh !!!

Fin de l’épisode deux.

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