1989, un Roland Garros révolutionnaire ?

By  | 6 mars 2021 | Filed under: Actualité, Histoire, Légendes

 

Je suis récemment tombé sur ce « Long format » signé Laurent Vergne, sur Eurosport, retraçant magnifiquement l’épopée de Michael Chang à Roland Garros en 1989 (lien). Article très complet pour son rappel détaillé du parcours improbable du sino-américain et du contexte entourant cette levée 1989 de l’ocre parisien.

Mais c’est la dernière partie de l’article, « Les paradoxes de Monsieur Chang », qui m’intéresse ici. En essayant de démêler les contradictions de cette victoire surprise, Laurent Vergne met sur la table un sujet finalement peu abordé, la surprise d’une victoire aussi précoce, doublée d’une autre surprise, qu’il n’ait jamais réussi à remporter un autre titre du Grand Chelem. Mais les réponses proposées par Patrice Clerc (directeur du tournoi à l’époque) et Philippe Bouin (Pape du tennis à l’Equipe) semblent sujettes à caution.

L’effet de surprise ? Il est à double face lorsque deux joueurs s’affrontent pour la première fois. Et l’effet de surprise ne vaut ni pour Lendl, qui avait déjà croisé le fer avec Chang lors de deux exhibitions récentes, ni pour Edberg, vaincu à Indian Wells par Chang quelques mois plus tôt et qui avait d’autant plus de raisons de se méfier. L’explication de Philippe Bouin tient davantage la route, mais il faut l’étoffer. Oui, la vitesse de déplacement de Chang était phénoménale, et oui ça s’est avéré insuffisant par la suite pour qu’il double la mise en Grand Chelem. Mais il y manque une conclusion importante : pour prendre l’exemple de la deuxième finale parisienne de Michael en 1995, le tennis a connu un saut qualitatif entre 1989 et 1995. Et malgré ses progrès, notamment au service, le petit Américain a dû faire face à une accélération du jeu à laquelle il n’a pas su répondre.

Révolutionnaire, ce Roland Garros 1989 ?

 

Lendl et Wilander

A l’orée de cette cuvée, il est impossible de ne pas mentionner les deux tauliers du tournoi, qui se sont partagés 6 des 7 éditions précédentes, et dont on peine à ne pas faire les deux favoris naturels.

Je jetterai un voile pudique sur mon Suédois préféré, à propos duquel je me suis précédemment livré à un coming out épistolaire. En ce printemps 1989, le tenant du titre est en pleine dégringolade et traine son vague à l’âme sur les courts. Le tennis est toujours là, mais le cœur et la tête n’y sont plus. Le Kasparov de Växjö ne doit sa présence en quarts de finale qu’à un tableau favorable. Le premier obstacle, Andrei Chesnokov, sera beaucoup trop haut.

Le cas d’Ivan Lendl est plus énigmatique. En ce printemps 1989, le tyran d’Ostrava tient à nouveau fermement les rênes du tennis mondial. Enfin titré en Australie, il n’a connu que deux fois la défaite depuis le début de l’année. Cinq titres se sont ajoutés à ses étagères, dont deux à l’approche de la quinzaine parisienne, à Forest Hills et à Hambourg.

Interrogé à de nombreuses reprises à propos de sa défaillance face à Chang, Ivan a livré quelques éléments de contexte. Comme toujours quand un joueur parle de lui-même, on prendra l’information d’où elle vient et, pour reprendre la formule de Laurent Vergne, « Lendl avait perdu. C’est tout ce qui comptait à ses yeux, pas le chemin qui avait mené à cette défaite. » Le monde entier s’étant tapé sur les cuisses devant cette farce dont il fut le dindon, le regard, même rétrospectif, de Lendl sur ce match est resté aux oubliettes. Que le n°1 mondial ait défailli mentalement devant un gamin de 17 ans perclus de crampes est une évidence, mais personne ne s’est attardé sur la propre défaillance physique d’Ivan. Moins visible et moins théâtralisée que celle de Chang, la fatigue de Lendl n’en fut pas moins réelle. Victime de pépins physiques en avril, le Tchécoslovaque avait réduit au minimum sa préparation sur terre. Absent à Monte Carlo et à Rome – contrairement aux années précédentes – il avait retardé son arrivée en Europe en s’alignant à Forest Hills. Il avait bien quelques matchs dans les pattes en arrivant Porte d’Auteuil, mais pas autant qu’il l’aurait souhaité, et pas assez pour atteindre la plénitude de ses moyens physiques. Au cinquième set, son manque de lucidité est flagrant, mais il s’explique aussi par la fatigue.

Pour le reste, on apportera une petite nuance à la légende urbaine concernant ce match, Lendl ayant été vaincu par un gamin ne pouvant plus marcher. Oui, Chang pouvait marcher, et même courir. Il souffrait, il récupérait entre les points, et même pendant les points grâce à ses moonballs. Et rétrospectivement, la qualité tennistique de ce cinquième set n’est pas extraordinaire, mais pas ridicule non plus.

 

Agassi et Courier

Le mot « révolution » est assorti à bien des sauces quand il s’agit d’évoquer le triomphe inattendu de Michael Chang en 1989. Mais en la matière, il renvoie bien davantage à une concordance de dates : 1989 est l’année du Bicentenaire de notre Révolution nationale, mais aussi l’année des émeutes de la Place Tian’anmen à Pékin (pays d’origine de la famille Chang), sans oublier la chute du Mur de Berlin quelques mois plus tard. On ne dissertera pas ici sur la pertinence ou non du mot « révolution » dans de tels événements ; plusieurs secousses concomitantes ont effectivement esquissé un nouvel ordre mondial en cette année 1989. Mais de révolution tennistique, signalée par l’arrivée de joueurs ou de matériels novateurs, il ne fut nullement question sur cette édition. Si l’on doit parler de révolution tennistique dans ces années-là à Roland Garros, on se tournera davantage vers l’édition précédente, celle de 1988.

Non pour le Lendl/McEnroe, sublimé à l’écran par le documentaire – du reste indispensable – Le crépuscule des dieux de Benjamin Rassat. Encore moins pour les réformes d’arbitrage qu’il semble avoir indirectement provoquées. Et pas davantage pour la cavalcade jusqu’à la finale de notre Riton national (encore que le simple fait qu’il ne se soit ni blessé ni autodétruit pendant 12 jours est en soi un record personnel). La grande nouvelle de 1988, c’est la percée jusqu’au dernier carré d’un autre adolescent américain, Andre Agassi. Et cette révolution n’a rien à voir avec ses tenues. En cumulant puissance de feu et prises de balle précoces, il a inauguré une nette accélération des cadences dans l’échange, et la prise de temps à l’adversaire.

Le Kid de Las Vegas n’avait alors que 18 ans et, de manière fort logique, un Mats Wilander alors au sommet de sa carrière l’a ramené à la raison et à ses limites physiques, en lui collant une bulle au cinquième set. Néanmoins, à l’ouverture de Roland Garros 1989, le nom d’Agassi est sur toutes les lèvres, et beaucoup sont persuadés que l’avertissement lancé par Agassi l’année précédente annonce son couronnement futur sur l’ocre parisien.

La surprise n’en sera que plus grande de voir Dédé chuter au troisième tour, face à son ancien codétenu chez Bollettieri, Jim Courier, qui avait peu fait parler de lui jusqu’alors. Une surprise, vraiment ? Jim n’est pas encore le monstre physique et mental qu’il va devenir, mais ce jour-là il frappe encore plus fort que son rival, en manque de sensations, et qui ne tiendra pas la distance physiquement. Pour Agassi, l’heure est à une première remise en question. Quelques semaines plus tard, il fera une rencontre déterminante pour la suite de sa carrière – et de sa vie – en la personne de Gil Reyes, et à partir de l’année suivante il ne sera plus pris en défaut sur le plan de l’endurance physique.

Quant à Courier, il n’a pas encore 19 ans, et il va s’incliner à l’usure contre Andrei Chesnokov au tour suivant. Les deux futurs adversaires de la finale de 1991 vont bien provoquer un changement d’époque mais, pour l’un comme pour l’autre, en 1989 il est encore trop tôt.

 

Mancini

Les limites physiques d’Agassi ont d’ailleurs été mises en lumières quelques jours avant l’ouverture de la quinzaine parisienne. En finale de Rome, l’Américain laisse échapper une balle de match au quatrième set, avant de s’écrouler au cinquième, face à l’épouvantail terrien de ce printemps, Alberto Mancini.

Déjà couronné à Monte-Carlo quelques semaines plus tôt, ce jeune Argentin de 20 ans détonne. Des cuisses de rugbyman, une rapidité incroyable, un sens inné de la glissade sur terre battue, et surtout, surtout, des coups d’une puissance jamais vue auparavant, le ténébreux Alberto est le « tube » du moment. Outre sa joute romaine contre Agassi, c’est sa magnifique finale monégasque face à Becker qui marquera les esprits. Atteignant la première de ses trois finales au pied du Rocher, Boris peut raisonnablement croire en ses chances, d’autant qu’il semble enfin avoir dompté la science du déplacement sur terre battue. L’Allemand sera pourtant dominé, de la plus surprenante des manières pour lui : en puissance. Saoulé de coups pendant quatre heures, Becker rend les armes à l’issue de l’une des plus belles finales de l’histoire du tournoi.

Arrivé à Roland Garros come tête de série n°11, mais surtout en position de favori, Mancini semble assumer son nouveau statut. Au troisième tour, il écarte sans ménagement une valeur sûre sur terre, son compatriote Martin Jaite. Mais c’est au tour suivant que son sort va se sceller. Face à l’attaquant helvète Jacob Hlasek, il dilapide une avance de deux sets. Il l’emporte 6/4 au cinquième, en y laissant trop d’énergie et d’influx nerveux. Après une moisson printanière fructueuse mais épuisante, ce huitième de finale, par ailleurs l’un des plus beaux matchs du tournoi, le laisse exsangue. En quarts de finale, il n’a plus l’énergie et la vitesse nécessaires pour ajuster ses passings face à un nouvel attaquant, Edberg, qui le liquide en trois sets. Mancini prend-il date pour la suite ? Même pas. Son jeu, trop gourmand en énergie, l’expose à de nombreuses blessures, et jamais il ne retrouvera de telles altitudes.

 

Muster

Et quitte à se replonger dans ce Roland Garros 1989, pourquoi ne pas évoquer celui qui en fut le grand absent, Thomas Muster ? La référence n’a rien d’anodin lorsqu’on connaît son palmarès sur ocre, mais surtout quand on se rappelle qu’au moment où est survenu le terrible accident de voiture à Miami alors qu’il s’apprêtait à disputer la finale de ce cru 1989, l’Autrichien était sur une trajectoire ascendante. En demi-finale de l’Open d’Australie, il avait donné du fil à retordre à Ivan Lendl, et il s’apprêtait à en faire de même à Miami. Au soir de sa demi-finale floridienne – gagnée en cinq sets face à Yannick Noah – il était penché vers le coffre de sa voiture quand elle fut percutée à l’avant par un chauffard ivre. Projeté plusieurs mètres en arrière, Muster a le genou sévèrement touché ; c’est depuis un fauteuil roulant qu’il suivra ce Roland Garros. Nombreux alors sont ceux qui le croient définitivement perdu pour le tennis. Quelques mois plus tard, une photo où il frappe contre un mur avec la jambe attachée à un banc fera le tour du monde.

En ce début 1989, l’Autrichien semblait avoir franchi un cap, en atteignant la demi-finale du premier Grand Chelem de l’année, puis la finale du « cinquième Grand Chelem » floridien comme il était appelé à l’époque. Début mai, il pointait à la 6ème place mondiale, et son pédigrée sur terre – déjà 5 titres – allait en faire de toute évidence un homme à éviter à Roland, et un homme auquel le titre Porte d’Auteuil semblait prédestiné.

Prédestiné, car la puissance et la prééminence physique de ce jeune gaucher Autrichien de 21 ans étaient alors inédites. Ses matchs sur terre, il les gagnait par asphyxie, en usant l’adversaire avec des frappes pas si liftées, mais très lourdes et très difficiles à contrôler. Le jeune Nadal, à ses débuts 15 ans plus tard, s’inscrira d’ailleurs dans une filière assez proche. Aucun fantassin de la légendaire armada suédoise des années 80 ne rivalise avec la puissance du jeune Muster qui émerge à la fin de la décennie. La réforme se fera attendre : brisée net à Miami 1989, la trajectoire de Muster sera une longue reconstruction, et 6 ans lui seront nécessaires pour atteindre la plénitude de ses moyens physiques et aller chercher le titre parisien.

 

Wimbledon-sur-Seine

Avant de couronner un adolescent, cette édition unique en son genre a donc vu tous les candidats au titre trébucher les uns après les autres. Mais elle a aussi, jusqu’au bout, entretenu l’espoir qu’un attaquant allait enfin l’emporter.

Pour Edberg et son service-volée, pour Becker et ses frappes surpuissantes, la terre battue n’était évidemment pas une surface naturelle. L’adversaire y bénéficiait de quelques précieux dixièmes de secondes pour ajuster ses passings face à l’attaquant scandinave ; quant à l’Allemand, son déplacement un peu lourd se prêtait mal aux glissades. L’un et l’autre, toutefois, s’étaient déjà signalés Porte d’Auteuil : un quart en 1985 pour Edberg, un quart en 1986 et une demie en 1987 pour Becker. Lorsque le tirage au sort est connu, l’un et l’autre peuvent envisager sereinement leur avancée dans le tournoi. Ils se partagent la moitié basse du tableau, loin de Lendl, Wilander et Agassi. Clairement, ils ont un coup à jouer. Et ils vont le jouer. Chacun aura toutefois un obstacle Albiceleste à surmonter avant le dernier carré. Pour Becker, ce sera un huitième de finale épique face à l’Argentin Guillermo Perez-Roldan, spécialiste de la terre battue. Boris sauvera une balle de match au cinquième set, avant de s’imposer sur le fil. Edberg, de son côté, réussit une splendide démonstration de tennis offensif face à Mancini et liquide l’affaire en trois sets.

On aurait du mal à imaginer, le jour du tirage au sort, un observateur pleurer sur ce fichu hasard qui empêchera un remake de la dernière finale de Wimbledon. Deux semaines et un carnaval tennistique plus tard, nous y sommes. Stefan et Boris vont s’affronter pour gagner le droit de défier Chang pour le titre suprême. Boris a de nombreuses raisons de croire en ses chances. Quelques mois plus tôt, en finale de la Coupe Davis, il a atomisé son rival suédois ; à cette occasion, il s’était montré bien plus à son aise sur ocre que son rival. Boris a aussi pour lui sa récente finale à Monte Carlo ; bien que vaincu, il a montré ses immenses progrès dans le registre du déplacement sur terre battue. La prestation de Boris durant les deux premiers sets n’en sera que plus décevante. Apathique, laborieux à la relance et auteur de nombreuses fautes grossières, il est distancé d’emblée. Et c’est même un miracle qu’il s’offre un quatrième set, Stefan s’étant procuré plusieurs balles de break au cours du troisième. Sa finale, le félin suédois va aller la chercher au cinquième : breaké d’entrée, il profite d’une baisse de régime de l’Allemand au service pour débreaker aussitôt, et s’autorise même quelques retours-volées pour le moins osés sur les deuxièmes balles de Boris, et émerge en vainqueur de ce qui restera, en niveau de tennis pur, comme le plus beau match de la quinzaine.

A 21 ans, Boris ne semble pas avoir de regret excessif sur cette défaite, se disant sans doute qu’une nouvelle chance s’offrira à lui. Mais il se trompe : 1991 sera la seule année où il se présentera en forme Porte d’Auteuil, et Agassi lui sera nettement supérieur en demi-finale. Et il a tort surtout car cette finale face à Chang, il en aurait été, plus qu’Edberg peut-être, le net favori. Le sino-américain ne l’a emporté qu’une fois en six rencontres face à Boris, parce qu’il n’avait aucune réponse à apporter à la puissance de feu de l’Allemand ; lors de leur quart de finale parisien deux ans plus tard, Michael s’inclinera lourdement en trois sets.

 

1989, la fin d’une époque

Avant de déboucher sur le couronnement improbable d’un gamin de 17 ans, ce Roland Garros 1989 s’est donc soldé par une succession d’absences, de défaillances et de surprises. Et une victoire d’Edberg, qui a été bien proche de se produire, aurait été en vérité une surprise de même ampleur, quel que soit le pédigrée du Suédois au moment des faits. Aucun serveur-volleyeur n’a remporté le titre parisien depuis Rod Laver en 1969, ce qui commence à dater.

Je peine à imaginer le Chang de 1989 l’emporter sur le Lendl de 1987 ou le Wilander de 1988. Et je ne l’imagine pas davantage dominer Courier ou Agassi en 1991, Bruguera en 1993-1994 (Muster en 1995 a répondu à la question). Ce Roland Garros 1989 n’est pas la première secousse d’ampleur d’un changement d’époque, mais l’épitaphe d’une période – les années 80 – dominées par deux joueurs, dont la défaillance conjointe a rebattu les cartes.

Au cours du demi-siècle de tennis « Open » commencé en 1968, les tournois du Grand Chelem ont parfois connu des vainqueurs surprenants, des dénouements inattendus, des parcours improbables. A tort ou à raison, trois levées semblent, plus que les autres, être passées à la postérité : Roland Garros 1989, Roland Garros 1997 et Wimbledon 2001. Je mettrai de côté l’épopée parisienne de Guga en 1997, qui relève d’une autre logique. En revanche, les parcours d’Ivanisevic à Londres en 2001 et de Chang à Paris en 1989 ont un point commun majeur : ils clôturent une époque bien plus qu’ils n’en ouvrent une nouvelle. En dépit de son 129ème rang mondial, Goran a émergé en vainqueur d’une édition qui, si elle marquait la chute de la maison Sampras, n’en a pas moins placé dans le dernier carré les quatre victimes principales du Californien tout au long de sa fabuleuse moisson londonienne dans les années 90 : Henman, Ivanisevic, Rafter et Agassi. Comme édition marquée par une relève, on fait mieux…

 

Le début d’une nouvelle ère ?

On relèvera, bien sûr, que les vainqueurs ultérieurs de Roland Garros commencent à pointer le bout de leur nez : Agassi s’est – doux euphémisme – fait remarquer l’année précédente ; Courier arrive ; un frêle Catalan de 18 ans, Sergi Bruguera, se hisse en huitièmes et pousse Agenor aux cinq sets ; Thomas Muster rumine sur sa trajectoire injustement brisée. Cela suffit-il à rendre une levée « révolutionnaire » ?

Si vraiment ce Roland Garros 1989 était « révolutionnaire », au sens où les initiateurs d’une révolution tennistique s’y seraient signalés (bien que finalement battus), j’ai déjà cité l’édition 1988. Mais j’ai un autre candidat à proposer, l’Australian Open 1984. Ouais. Vous me voyez sans doute venir vous emmerder une fois de plus avec Wilander. Et j’imagine déjà certains d’entre vous sortir les tablettes de Colin. Eh bien pas du tout.

Une fois de plus, je vais devoir m’excuser de ne pas être archiviste de mes sources sur le web. Je ne parviens pas à retrouver le lien vers l’article auquel je pense. De quoi s’agit-il ? Du soupir d’un journaliste papier australien, datant de décembre 1984, au lendemain de l’Open d’Australie encore disputé à Kooyong. Ma restitution sera approximative, encore que je fusse tellement éberlué par ce que je lisais que je m’en souviens très bien. Nous ne sommes pas les seuls à pratiquer l’auto-flagellation, les Australiens se défendent fort bien, et en plus ça les rend visionnaires.

« Le verdict de cet Australian Open est tombé, et il mérite une analyse sans concession. L’Histoire retiendra que Mats Wilander a conservé son titre. Mais ne nous mentons pas, et disons haut et fort que ce titre fut nettement moins méritant que celui de l’année précédente. Il y a un an, le Suédois avait battu McEnroe et Lendl pour l’emporter, nous pouvions alors espérer que Kooyong était en voie de devenir l’égal de ses trois homologues du Grand Chelem et que la légende du tennis allait désormais aussi s’écrire dans nos contrées. Un an plus tard, l’Américain suspendu et le Tchécoslovaque battu prématurément ont ouvert un véritable boulevard à Wilander, et nous pouvons légitimement nous demander si ces grands champions feront encore longtemps un voyage aussi long pour s’imposer sans rencontrer de véritable opposition. Kooyong ne mérite pas l’appellation « Grand Chelem » et ne l’a jamais méritée, n’en déplaise aux légendes australiennes des années 50-60 qui dominaient la planète tennis hors de nos frontières mais qui disputaient ici un simple tournoi interne. Ils ne disputaient pas Kooyong parce que c’était important, ils le disputaient parce que c’était à la maison.

On pourrait à la rigueur se réjouir de l’émergence de deux joueurs, Kevin Curren et Boris Becker, respectivement finaliste et quart-de-finaliste, qui ont en commun d’avoir un service canon. C’est bien peu, mais il faudra s’en contenter. Le Sud-Africain, à 26 ans, n’est plus un espoir depuis longtemps, tout au plus un bon joueur en forme, comme le furent dans un passé récent Teacher, Warwick, Denton et Kriek, eux aussi finalistes chez nous et insignifiants partout ailleurs. Quant à Becker, il n’a que 17 ans, et il est bien trop tôt pour envisager une confirmation. Personne n’imagine Curren et Becker aller aussi loin lors du prochain Wimbledon. »

Comment on dit aujourd’hui ? Ah oui : LOL

 

Le lutin malicieux

Une fois mise de côté l’hypothèse d’un Roland Garros précurseur d’une époque, on rendra à César ce qui appartient à Jules. Michael Chang l’a emporté, non en raison d’un jeu révolutionnaire, mais par la maturité exceptionnelle qu’il a déployée tout au long de sa deuxième semaine. Gagner un match d’une manière aussi improbable face à Lendl, puis se remobiliser et rester dans sa bulle jusqu’au bout du tournoi, en évacuant le surcroît de pression occasionné par une telle victoire, c’est herculéen. La jeunesse du bonhomme, et l’inconscience qui en découle, ont probablement joué, tout comme sa foi. En fin de compte, il importe peu que nous le prenions au sérieux ou non lorsqu’il évoque sa croyance, ce qu’il a fait régulièrement et passionnément pendant toute sa carrière. Lui y croit, et c’est bien là l’essentiel. Chacun de nous a ses propres raisons, ses propres pulsions, ses propres moteurs existentiels, susceptibles de lui donner un supplément d’âme ou de force à un moment donné ; ce fut le cas pour Chang lors de cette quinzaine folle, dont le verdict s’est joué à très, très peu de choses.

Avec 32 ans de recul, on constate que personne (parmi ceux qui l’ont vécu) n’a oublié ce Roland Garros 1989, et ce n’est pas pour la qualité du jeu qu’il a proposée. Ce n’est pas non plus en raison de son record, que Michael Chang est susceptible de conserver encore un bon bout de temps. Et ce n’est même pas parce que Michael a remporté le titre. Personne n’a oublié le fabuleux Sampras-Courier de Melbourne en 1995 ; beaucoup, en revanche, ne se souviennent même pas que Pete n’a pas remporté le titre cette année-là.

Le Chang-Lendl est porteur d’une immense charge émotionnelle qui le place à part dans l’imaginaire du sport, et c’est plus que suffisant pour distinguer cette édition à nulle autre pareille, parenthèse au cours de laquelle la pseudo-rationalité du tennis a volé en éclats. Nous avons tous une mémoire sélective, et nous ne retenons que les moments qui nous ont touchés. Roland Garros 1989 est l’écrin du Chang-Lendl, c’est l’aventure picaresque d’un adolescent jusqu’au titre, c’est le requiem définitif pour les serveurs-volleyeurs. Pour toutes ces raisons, cette édition a touché la corde sensible du grand public, paramètre qui échappe justement à toute analyse rationnelle.

Non, ce ne fut pas une édition révolutionnaire ; elle fut bien plus que cela, elle fut émouvante.

 

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Grand passionné de tennis depuis 30 ans.

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347 Responses to 1989, un Roland Garros révolutionnaire ?

  1. Kristian 16 mai 2021 at 19:42

    Curieusement, c’est Nadal qui commence a faire son âge. Son service n’avance plus..

    • Paulo 16 mai 2021 at 20:02

      Nadal, faire son âge ? Ça lui fait une belle jambe, il continue à gagner quand même : https://www.youtube.com/watch?v=SzY6Iovw_y0

    • Sebastien 16 mai 2021 at 20:51

      Tu es dur, Kristian, Nadal a servi des premières à 184 km/h et des secondes à 148 km/h. Surtout qu’il a passé 75% de premières.
      Pas spécialement plus lent qu’à ses belles années, si ?

      • Kristian 16 mai 2021 at 21:03

        C’est l’évolution pendant le match qui m’a interpellée. Au premier set ses premières balles tournaient à 190-200 km/h. Puis ça a baissé,et il n’a plus servi qu’à 175 – 180. Je ne sais pas si c’était un coup de fatigue ou un choix pour augmenter son taux de première balle. Il avait des jambes, mais Djokovic mettait alors une grosse pression des le retour de la première balle.

  2. Don J 17 mai 2021 at 13:43

    A vous lire c’est 2021 toujours rien à l’horizon. On dirait bien qu’on en a pas fini encore avec le big two, et je me demandait si des pronostics avaient déjà été fait en ces pages sur le fait qu’ils vont bien finir par la prendre leur retraite ? J’attend toujours la période où ils vont commencer à être battus régulièrement pour me réintéresser vraiment au tennis et je suis très patient, ça c’est le point positif =)
    Après si il faut attendre leur 40 ans en 2026 et 2027, là ça va pas être possible ^^’

    • Sebastien 18 mai 2021 at 23:16

      je ne vois pas Nadal aller jusqu’à 40 ans. Il aura physiquement trop baissé et aura peut-être des blessures rédhibitoires.
      Djokovic, dès qu’il aura creusé l’écart en nombre de Grands Chelems remportés (si cela arrive) devrait lever le pied. Reste Roger qui n’est plus vraiment dans ces obsessions de records qui peut continuer encore quelques années, pour le plaisir. Et il a peut-être un ou deux Wimbledon encore dans la raquette.

  3. Babolat 18 mai 2021 at 17:55

    Roger… no ! NO ! NO!

    Contre Andujar…

    Bref… c’était la reprise mais c’était pas bon.
    C’est assez mauvais signe.

  4. Sam 18 mai 2021 at 19:42

    A priori tout allait bien jusqu’au trou d’air fatal final. « Tout allait bien »…

  5. Babolat 18 mai 2021 at 20:13

    Ca m’a rappelé l’horrible match de Pete à Wimbledon 2002 contre Bastl. Pareil… il mène 4/2 au dernier set… et en 15mn il perd 6/4.

    • Sebastien 18 mai 2021 at 23:12

      Qu’est-ce qui était arrivé à Sampras ? Trou d’air ? Adversaire en feu ?

      • Kristian 19 mai 2021 at 08:43

        Il etait vieux, il jouait sur le Graveyard, il n’y avait plus l’etincelle, c’etait la fin

        • Perse 19 mai 2021 at 14:33

          C’est vrai que c’était le chemin de croix, un pathétique fini. Et pourtant, lui-même jurait ses grands dieux ne pas l’être. Et son US Open 2 mois après fut d’autant plus incroyable.

  6. Paulo 18 mai 2021 at 21:34

    Ça me rappelle que quelqu’un, je ne sais plus qui, disait il y a quelques temps qu’il n’est jamais bon de breaker trop tôt dans le set décisif. C’est arrivé à Roger aujourd’hui ; c’était arrivé à Nadal lors de la finale de l’AO 2017. C’est arrivé à Tsitsipas contre Djoko et à Shapo contre Nadal la semaine dernière… je me souviens même de Gonzalez qui menait 4-2 dans le 5ème set face à Soderling en 1/2 à Roland 2009 et qui a perdu 6-4. Je ne sais pas si ce’st une réalité statistique mais le scénario semble se produire régulièrement.

    Sinon, j’ai cru comprendre que Roger estimait qu’il lui fallait 10 matches pour situer son niveau. Au rythme de Genève, il sera fixé vers le mois de septembre…

  7. Sebastien 18 mai 2021 at 23:11

    Roger est courageux d’avoir repris la saison sur terre battue directement. Sur une surface aussi exigeante, après un tel arrêt, il n’était pas loin de battre Andujar qui peut être un poison sur terre, cf Rio de Janeiro contre Nadal en 2014 où il était en feu.. Roger l’a dit lui-même il reprend d’une blessure plus longue et sérieuse que celle de 2016.
    Espérons qu’il sera au point à Halle et Wimbledon. Et même à Roland, avec des premiers tours cléments, il peut faire quelque chose. d’intéressant.

  8. Kristian 19 mai 2021 at 07:34

    Il devrait plutôt aller jouer directement à Stuttgart plutôt qu’à RG, s’il veut avoir des matchs dans les jambes avant Wimbledon. D’autant que sa présence a RG où il serait tête de série numéro 8 va déséquilibrer le tableau.

    • Nath 19 mai 2021 at 08:00

      C’est sûr que s’il se retrouve dans le dernier quart avec Medvedev, ça sera ouvert. On peut éventuellement ajouter Schwartzman et ce sera impronosticable, un peu comme le 3° quart de Rome.

      D’ailleurs Berrettini est 9° à la fois au classement ATP et à la Race, on l’aurait pas parié le mois dernier.

  9. Rubens 19 mai 2021 at 18:11

    Je vois passer un entrefilet sur le Sampras-Bastl de Wim 2002. Je n’ai pas vu ce match, mais le commentaire du lendemain était qu’il avait été complètement nul. A mon avis il n’y a pas à chercher plus loin, bien que j’ai lu récemment que ce match symbolisait le ralentissement du gazon.

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